LA FEMME DE MON FRÈRE de Monia Chokri ⭐⭐⭐
Auréolé du prix Coup de cœur de la section Un Certain Regard au plus récent Festival de Cannes, LA FEMME DE MON FRÈRE, premier long métrage de Monia Chokri, arrive rapidement sur nos écrans après son acclamation sur la Croisette.
Belle idée que de profiter de cet élan, surtout pour mettre un peu de couleurs dans ce printemps si gris. Ce film propose une thématique peut souvent explorée dans notre cinématographie, soit la relation entre une sœur et son frère, sujet pourtant riche narrativement. Il y a bien eu récemment le tumultueux EMBRASSE-MOI COMME TU M’AIMES d’André Forcier, ou dans la dernière décennie INCENDIES de Denis Villeneuve et EN TERRAINS CONNUS de Stéphane Lafleur (malgré que chez ces deux derniers titres, le lien de filiation n’était pas nécessairement le centre d’intérêt), il faut reconnaître que c’est davantage dans un contexte familial que sont représentés ces liens fraternels dans le cinéma québécois (LÉOLO de Jean-Claude Lauzon et LES PLOUFFE de Gilles Carle en sont d’excellents exemples).
Ce lien de sang, il est puissant entre les personnages de Sophia et Karim, campé respectivement par Anne-Élisabeth Bossé (juste mais parfois épuisante) et Patrick Hivon (parfait, la comédie lui sied aussi bien que le drame). Dans le premier quart d’heure, nous sommes plongés dans cette relation étroite qui les unit, parfois leur chimie pourrait nous faire croire qu’ils forment un couple ou qu’il s’agirait d’amis de longue date. Ils sont pourtant issus du même père et de la même mère, couple désuni qui vive sur le même terrain, joué par les excellents Sasson Gabai (rajoutez lui une moustache et vous vous souviendrez de cet acteur israélien dans la comédie LA VISITE DE LA FANFARE d’Eran Kolirin) et Micheline Bernard (présente doublement à Cannes cette année, en étant la mère dans le nouveau Xavier Dolan, MATTHIAS & MAXIME).
Si l’ambiance intense des repas de cette famille n’est pas sans rappeler celles vues chez Dolan, Monia Chokri réussit à se détacher progressivement de son illustre ami. Si le cinéaste DES AMOURS IMAGINAIRES avait adroitement monté son unique court métrage QUELQU’UN D’EXTRAORDINAIRE, son nom ne figure pas parmi les artisans de LA FEMME DE MON FRÈRE. Il y a bien sûr des affinités dans l’écriture des dialogues et dans son débit, dans l’importance des cadrages et des éléments qui les constituent, mais encore là, Monia Chokri semble plus libre, plus instinctive. Il suffit de voir les superbes images de Josée Deshaies (NELLY d’Anne Émond, ENDORPHINE d’André Turpin, ST-LAURENT de Bertrand Bonello), cette caméra qui réussit à rendre Montréal poétique (un exploit en soi), pour comprendre que l’actrice a vraiment une fibre de cinéaste.
Si nous embarquons rapidement dans les aventures de ce duo qui deviendra trio, à force de trop vouloir suivre les nombreux récits parallèles, le nœud dramatique de cette comédie se détend un peu trop (117 minutes, c’est beaucoup), laissant place à une certaine forme d’ennui, voir même d’agacement. Comme si Monia Chokri, follement amoureuse de tous ses personnages, n’arrivait pas à ce concentrer uniquement sur celle qui porte l’essence même du film. En partageant le poste de monteuse avec Justine Gauthier (dont c’est aussi le premier long métrage), Chokri aurait eu avantage à couper quelques scènes convenues qui ralentissent l’aboutissement de cette histoire, souvent drôle et à la conclusion parfaite, hommage à tous ces frères et sœurs de son entourage.
Peu importe quelques maladresses de débutante, il y a énormément de cinéma dans cette pétillante genèse de Monia Chokri. Elle a su s’entourer d’excellents collaborateurs (outre ceux nommés plus haut, notons Olivier Alary à la musique, Éric Barbeau à la direction artistique et Patricia McNeil aux costumes) auxquels elle laisse amplement de place pour qu’ils puissent déployer leur talent respectif. Et que dire de sa direction d’acteurs, même les seconds rôles semblent s’épanouir (comme celui de Mani Soleymanlou, savoureux en grand romantique maladroit). LA FEMME DE MON FRÈRE rejoint donc AVANT QU’ON EXPLOSE de Rémi St-Michel dans les comédies québécoises de qualité sorties cette année, de plus en plus libre des carcans du genre, celles qui permettent de passer du rire aux discussions, une fois la porte de la salle de cinéma franchie.