Chaque famille à son histoire, composée de drames et de bonheurs où tous les membres semblent jouer un rôle aux yeux des autres. Dans le cas des trois générations du clan Yokoyama, c’est pour souligner la mort du fils ainé plusieurs années auparavant qui les pousse à se regrouper tous les ans. Avec une finesse et une grande délicatesse, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda compose dans Still Walking un des plus beaux portraits de famille contemporains.
Reprenant des thèmes récurrents dans son œuvre, soient ceux de la cellule familiale mais aussi des répercussions de la mort sur les vivants, Kore-Eda démontre plus que jamais sa maîtrise scénaristique et sa capacité à effacer tout effort de mise en scène. Et pourtant, derrière cette fluidité dans l’histoire et le jeu des comédiens, il y a un réalisateur en plein contrôle qui, tel un chef d’orchestre au sommet de son art, mise tout sur la symphonie.
Impossible de ne pas se reconnaître chez l’un ou l’autre des nombreux personnages qui recrée la dynamique de tellement de familles à travers le monde. Les non-dits, les blessures du passé, les vieilles rengaines, les routines de chaque réunion, les secrets qui ne seront jamais partagés et une table bien garnie pour célébrer tous ensemble. Le film de Kore-Eda a beau être typiquement japonais, dans son propos il touche à l’universel en mettant l’humain au premier plan.
Évidence dès les premières minutes, le nom du réalisateur Yasujirō Ozu résonne à l’écoute de Still Walking. Cet écho montre à quel point Ozu était moderne malgré la facture classique de ses films, particulièrement dans Voyage à Tokyo. Nous y reconnaissons la patience à laquelle le récit se développe, l’analyse méthodique des relations intergénérationnelles, la mise en valeurs des traditions japonaises et le rôle prédéterminé de chacun des sexes au sein d’une famille. Ce dernier point, similaire dans les deux œuvres malgré plus de 50 ans d’écart entre leur réalisation, est à la base de bien des conflits dans le long métrage d’ Hirokazu Kore-Eda. Et il montre bien que les mœurs évoluent différemment d’un pays à un autre.
Toutefois une différence frappante émane entre les deux films. Celui d’Ozu, dont l’objectif était de montrer l’effritement progressif du système familial japonais, propose un point de vue plus cérébral laissant peu de place au larmoiement. Tandis que chez Kore-Eda, les émotions sont volontairement beaucoup plus vives, le réalisateur ayant lui-même vécu la perte de ses parents dans les années précédant le tournage de son film. Il faut voir la grand-mère courir après un papillon blanc dans une pièce, étant convaincue qu’il s’agit de la réincarnation de son fils disparu, pour comprendre que le deuil du créateur n’est pas encore complété.
Fin observateur des autres qui l’entoure, Hirokazu Kore-Eda se démarque de ses compatriotes actuels, misant tout autant sur l’expérience humaine que sur l’aspect formel de ses œuvres. Avec son Tel père, tel fils présenté au Festival de Cannes en mai 2013, où il remporta le Prix du jury, Kore-Eda confirme qu’il poursuivra le legs laissé par Ozu tout en proposant sa vision très personnelle d’une société traditionnelle en pleine mutation.