LE SILENCE DE LA MER, film miracle

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Avec tous les obstacles qu’ils ont dû affronter et les embûches qu’ils ont su déjouer, certains films sont de véritables miracles. LE SILENCE DE LA MER de Jean-Pierre Melville est l’un d’eux.

Si le nom de Melville est surtout associé à un certain renouveau du film policier (LE DOULOS, LE DEUXIÈME SOUFFLE, LE SAMOURAÏ), genre qu’il marquera au point d’influencer de nombreux cinéastes des générations suivantes (les frères Coen, Quentin Tarantino), c’est dans ce premier long métrage que l’on découvre la signature forte et très maniéré du réalisateur. C’est aussi, sans le savoir encore, l’illustration d’un thème qui le marquera, celui de l’occupation (revisité aussi dans LÉON MORIN, PRÊTRE et L’ARMÉE DES OMBRES).

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C’est justement au moment de l’armistice de 1940,  que le jeune Jean-Pierre Grumbach s’engage dans la Résistance et où il adoptera le pseudonyme de « Melville », en hommage à son auteur préféré. Comme plusieurs de l’époque, il lira la nouvelle de Vercors, distribué clandestinement sous les manteaux. Jean-Pierre Melville tente alors d’obtenir les droits du recueil mais il fut précédé par le comédien Louis Jouvet. Malgré quelques tentatives infructueuses auprès de Vercors, Melville prend la décision de mener à bien son projet. Devant son opiniâtreté, Vercors lui prêtera sa maison de Villiers-sur-Morin où naquit l’histoire de cet officier allemand hébergé par des français, un oncle et sa nièce, pendant l’occupation.

Tourné avec des moyens modestes et sur une période de plus d’un an (sans permis pour les scènes extérieures), Melville installera l’action principalement dans un salon dans lequel les protagonistes formeront un étrange trio. Le lieutenant Walter von Ebrennac (magnifiquement interprété par Howard Vernon) descendra presque tous les soirs tenir ses « interminables monologues » sur son amour de la France et la grandeur de l’Allemagne, devant l’oncle (Jean-Marie Robain) et la nièce (l’angélique Nicole Stephane qui marquera davantage les souvenirs dans le second film de Melville, LES ENFANTS TERRIBLES) muets et impassibles.

Misant sur sa maîtrise précoce du langage cinématographique, Melville utilisera judicieusement les procédées les plus simples, mais ô combien efficaces, d’angles de caméra et d’éclairage. Comme en témoigne la première séquence où von Ebrennac entre chez ses « hôtes ». Filmé en contre-plongée avec une lumière découpant exagérément les traits de son visage, l’officier allemand s’introduit tel un monstre dans leur demeure. Avec le temps, et surtout la délicatesse de ses propos, la caméra se déplacera progressivement à la hauteur de ses yeux, enlevant tout effet de menace sur sa présence parmi eux. Sauf à une occasion précise qui marquera cette histoire.

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Dans leur devoir de résistance, l’oncle et la nièce s’obstinent à conserver leur mutisme, position respecté par leur invité. Mais Melville parvient à partager habillement avec nous les états d’esprit du vieil homme à la pipe en employant la voix-off. Aidé aussi par la musique, cette combinaison sonore permet au film de conserver une juste balance, évitant de laisser sombrer certains de ses personnages dans le rôle de spectateur de leur propre destin.

Jean-Pierre Melville, après avoir congédié deux chefs opérateurs, trouvera finalement en Henri Decaë l’homme de confiance pour l’aider à compléter son film. Car si le tournage fut un long chemin sinueux, le montage le fut tout autant. À quatre mains, ils ont réussi à jumeler les 19 types de pellicule différent (que Melville aura récupérer morceaux par morceaux du à son manque de finances). Et grâce à certains contacts dans des laboratoires, le réalisateur bouclera enfin une version finale.

Par son audace formelle et une grande liberté dans sa production, LE SILENCE DE LA MER annonçait alors la Nouvelle Vague à venir. Mais aussi et surtout l’immense talent d’un jeune réalisateur qui comprit rapidement que l’économie de moyen ne devait jamais être vue comme un frein à la créativité. Jean-Pierre Melville prouvera par la suite qu’il est un des grands cinéastes français d’après-guerre.

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