IMPETUS, le grand pas en avant

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Créer, ce geste de puiser en soi, d’y trouver matière à construire des bouts de réel aussi fictifs soient-ils, de jouer avec les frontières et les codes d’un art centenaire, de prendre le temps nécessaire pour que toutes ces images sonores s’apprivoisent entre elles, deviennent un ensemble cohérent et harmonieux. Et ensuite, le grand vertige, partager ce travail, cette composition d’élans et de doutes, où les moments de grandes solitudes ont côtoyé des précieux instants de complicité. Étendre sur la grande toile blanche cette lumière intime, qui prend vie une seconde fois (où est-ce la première?) dans les yeux curieux des spectateurs.

IMPETUS de Jennifer Alleyn est un fascinant voyage au cœur même de la création,  un film qui semble se faire sous nos regards médusés, spectateurs-acteurs que nous sommes, prêts à plonger dans l’écran pour lui donner un coup de main. À défaut de l’aider réellement, son oeuvre deviendra un coup de cœur immense, mille fois récompensés devant tant de générosité. Rarement avons-nous vu une cinéaste (ici, le féminin inclut aussi les hommes) révéler sans phare ses vulnérabilités, composées de saines remises en question, capable ensuite de s’en nourrir pour trouver la poésie dans les recoins d’un appartement (où est-ce l’atelier de son père?). Cette fragilité, Alleyn la transforme en force, elle persévère devant les obstacles où d’autres auraient sûrement abdiqués.

impetus cigarette

L’impetus, ce mouvement en avant, cet assaut qui nous pousse dans l’action, c’est John Reissner qui le lancera devant la caméra, comme une évidence impossible à nommer. Ce musicien solitaire, géant philosophe qui semble avoir la tête dans les nuages de ses cigarettes, est l’un des fascinants protagonistes de ce film, tout comme la touchante pianiste russe Esfir Dyachkov et l’attachant chauffeur de taxi Besik Kasarian. Ce dernier, dans une scène d’anthologie où la fiction est nourrit par le réel (ou est-ce l’inverse?), se lance dans une passionnante discussion avec Pascales Bussières, un vrai moment de grâce cinématographique.

Bussières, venue « sauver » le volet fiction abandonné par le convoité Emmanuel Schwartz, est d’une parfaite justesse. Pascale a compris l’état d’esprit de son amie Jennifer, acceptant sans trop sourciller sa proposition sans filet. Et l’Emmanuel, acteur phare d’une génération, perdu dans ses pensées et celles de sa réalisatrice, ouvre grande la porte de son jeu, révélant la fine ligne de compréhension entre le devant et le derrière d’une caméra. Avec du recul, au deuxième visionnement, son départ précipité du tournage devient une évidence, comme s’il devait impérativement se sacrifier pour qu’IMPETUS puisse prendre vie. Son réel de comédien à donner des ailes, longues à déployer avouons-le, à Jennifer Alleyn. Cet imprévu est probablement la pierre angulaire de ce film-course-à-obstacles, précipice que la cinéaste a su gravir lentement, mais sûrement.

impetus taxi

Le plus beau cadeau d’IMPETUS est peut-être là, l’impressionnante résilience de Jennifer Alleyn. En se mettant en danger, elle nous touche droit au cœur. Aujourd’hui, en ce vendredi 18 janvier 2019, elle peut être très fière d’avoir persévéré, et de voir son IMPETUS prendre son envol dans les salles du Québec, et bientôt d’ailleurs. La suite logique serait que d’autres créateurs, peu importe leur forme d’art, viennent se sustenter de la richesse de son long métrage et ensuite, à leur tour, poursuivre cette chaîne nourrissante de la création.

IMPETUS de Jennifer Alleyn, 2019, 94 min. ⭐⭐⭐⭐

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