UNE COLONIE, défricher le territoire

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Pour un critique de cinéma, il y a quelque chose de rassurant en voyant UNE COLONIE, l’excellent premier long métrage de fiction de Geneviève Dulude-De Celles. C’est de savoir qu’il y a encore des territoires narratifs à défricher, des sensibilités nouvelles pour explorer des thématiques qui peuvent parfois sembler usées. Depuis plus de 120 ans, les codes cinématographiques et les points de vue sont majoritairement masculins, provocant des automatismes dans notre réception et notre interprétation de ces films. Sans vouloir ouvrir le débat sur la parité, c’est réjouissant de voir l’arrivée de jeunes réalisatrices comme Dulude-De Celles et autres Sophie Bédard Marcotte (CLAIRE L’HIVER), qui nous obligent comme spectateur à nous ouvrir à de nouveaux horizons, à les suivre dans leurs explorations de cet art qui ne demande qu’à être réinventé, encore et encore.

D’emblée, l’histoire de la timide Mylia qui découvre un nouveau milieu, soit son école secondaire, pourrait nous sembler d’une grande banalité. Mais forte de ses expériences de tournage précédentes (son touchant court métrage LA COUPE et son solide long métrage documentaire BIENVENUE À F.L.) Dulude-De Celles poursuit avec délicatesse et bienveillance l’observation de l’apprentissage de la vie chez les jeunes. Pour nous impliquer émotivement dans son récit, la cinéaste soreloise utilise plusieurs procédés qui sont d’une redoutable efficacité.

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Commençons par le choix judicieux de la talentueuse Emilie Bierre, qui a parfaitement saisi les forces et les fragilités de sa Mylia. Avec justesse et précision, elle réussit à jouer dans les micros détails l’anxiété et les questionnements qui l’habitent. Cela nous permet comme spectateur de nous identifier à elle, et de revivre par procuration notre propre adolescence, période de tous les malaises et les inévitables transformations. Une fois bien accroché à son personnage, nous sommes prêts à plonger dans sa réalité et partager avec elle toutes ses angoisses et ses questionnements. Il en va de même de tous les autres rôles, que Geneviève accompagne dans sa direction fraternelle. Irlande Côté, l’attachante et clownesque petite sœur Camille, est d’un naturel désarmant et  Jacob Whiteduck-Lavoie nous propose un convaincant Jimmy, veille âme de ses ancêtres autochtones.

Il y a ensuite le subtil travail à la direction-photo, Léna Mill-Reuillard en tête, appuyée par Étienne Roussy. Si leurs caméras deviennent des microscopes capables d’attraper les moindres gestes de nervosité de Mylia (rougeur aux joues, grattage de nuque, regard hésitant, etc), ils ont réussi à envelopper Emilie Bierre d’un halo de lumière, comme si elle devenait porteuse d’un soleil qui allait éclore. La blondeur de ses cheveux et la blancheur de sa peau sont autant de surfaces pour nourrir leurs sculptures d’éclairage.

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La clé, qui nous aide dans notre réception de cette oeuvre d’une grande humanité, c’est l’habile montage d’un certain Stéphane Lafleur. Le cinéaste de TU DORS NICOLE et leader du groupe Avec pas d’casque  a parfaitement compris le rythme qu’il fallait donner à UNE COLONIE, pour que notre implication soit totale. Un juste équilibre de flottements et de stress, l’adolescence étant la période des plus grandes joies et des plus pénibles peines.

Seul long métrage de fiction québécois à s’être classé dans mon top 30 de mes meilleurs films de 2018 (j’avais vu le film comme programmateur et redécouvert toute sa force évocatrice sur grand écran au FICFA), UNE COLONIE est un film d’une impressionnante maturité, de la somptueuse dentelle cinématographique. Une oeuvre capable de nous bouleverser par un battement de cils, de nous éblouir par la complicité entre ses personnages. Un drame qui nous gonfle le cœur d’amour et de compréhension durant toute la projection et duquel nous sortons le sourire aux lèvres, prêts à reprendre nos vies, un peu plus humain qu’en entrant dans la salle. Et ça, c’est plutôt rare, et précieux!

UNE COLONIE de Geneviève Dulude-De Celles, 2019, 102 min ⭐⭐⭐⭐

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