Avant la sortie prochaine de CHEVALIER d’Athiná Rachél Tsangári (vendredi 17 juin), retour sur son film précédent, le très original ATTENBERG, preuve qu’il y a un nouveau souffle dans le cinéma grec.
Ça commence par un baiser. Bien des histoires d’amour débutent ainsi. Mais dans ATTENBERG d’Athiná Rachél Tsangári, ce baiser n’a rien de romantique. Deux jeunes femmes devant un mur de brique s’approchent l’une de l’autre, ouvrent leur bouche, tirent leur langue et tentent de reproduire un frenchkiss. Le ton est donné! Ce film grec s’amusera à provoquer et sortir du cadre, au risque d’en surprendre plus d’un.
Fascinée par les documentaires animaliers de Sir Richard Attenborough, accompagnant son père dans sa maladie incurable, et s’éveillant à la sexualité avec son amie Bella, Marina a le corps d’une femme mais la naïveté d’une enfant. Tout au long du film, celle qui semble être à côté de la vie prendra tous les moyens pour s’y inclure.
Sans en douter, ATTENBERG est un cousin pas trop éloigné de CANINE de Yorgos Lanthimos. Si ce dernier nous gardait captif dans un environnement familial totalitaire, ATTENBERG va complètement à l’opposé, faisant preuve d’une très grande liberté dans un aspect très peu développé au cinéma, le jeu corporel des comédiens. Incorporant de nombreux numéros de danse ou d’imitations d’animaux par les protagonistes, la notion de « jeu » est appliquée à la lettre. Ici tout est permis. Et le spectateur le moindrement curieux, se verra complètement récompensé par la proposition de la réalisatrice. C’est justement Athiná Rachél Tsangári qui avait produit CANINE et elle a proposé à Yorgos Lanthimos d’interpréter le rôle de l’ingénieur.
Véritable soupape d’un pays en crise, l’absurde est encore une fois au rendez-vous pour contrer la morosité ambiante et l’absence d’un avenir immédiat. Comme un modus operandi, le cinéma grec ose et s’aventure avec ses petits moyens de production comme l’une des plus passionnantes filmographies nationales du moment. À cela, il faudrait aussi inclure l’excellent BOY EATING THE BIRD’S FOOD d’Ektoras Lygizos, le confrontant MISS VIOLENCE d’Alexandros Avranas et le plus récent objet cinémato-ludique de Yorgos Lanthimos, ALPS. Tous témoignent d’un mal être probant et d’une agressivité refoulée, à l’image de leur pays en pleine déroute sociale et financière.
Une autre preuve qu’il est possible de se démarquer parmi l’offre abondante du cinéma mondial malgré des ressources plus limitées. Des signatures fortes et des histoires originales ont ramené la Grèce à l’avant-plan dans les grands festivals du 7e art. C’est justement à la Mostra de Venise en 2010 que la comédienne Ariane Labed, formidable interprète de Marina dans ATTENBERG, a remporté à la surprise générale la coupe Volpi pour la meilleure interprétation féminine. Cette jeune actrice française né à Athènes, sur qui le film repose entièrement, propose une composition d’une grande justesse, oscillant adroitement entre un décalage contrôlé et une profondeur qui émerge tout au long du récit.
Si ATTENBERG ne réinvente rien (les Monty Python avait bien leur « ministère des démarches étranges »), il a le mérite d’être en parfaite symbiose avec l’air du temps de la République hellénique. Athiná Rachél Tsangária poussé sa réflexion dans les moindres détails de sa mise en scène, tant dans la composition de ces plans que dans l’utilisation abstraites des décors urbains. Mais c’est dans l’idée de jouer devant son objectif qu’elle trouvera le moyen d’affirmer sa rébellion, donnant à son personnage principal le goût d’embrasser la vie.